[PNJ] Dancing with the dead ; pv

Au moment où le portail s'ouvrit en largeur sous le chien à trois-têtes alors l'animal se réveilla comme si on l'avait tout simplement appelé dans le lointain. Il bougea sa seule et unique tête viable et ses oreilles se retournèrent dans un sens et dans l'autre : Mia eut vraiment l'impression que quelqu'un l'avait sifflé ou rappelé à l'ordre. En tout cas, Artemis n'était plus en mesure de tenir le coup, et quand le chien passa près d'eux en leur envoyant une bonne dose de poussière et de gravas dans la gueule, les deux jeunes gens n'y purent pas grand chose.

Mia était épuisé et Artemis avait plusieurs écorchures et semblait bercé entre la conscience et l'inconscience. La jeune femme eut à peine le temps de tourner la tête qu'elle aperçu un portail de la même nature que celui que le chevalier avait tenté de faire apparaître. Le cerbère traversa ce large cercle à la lueur de sang et disparu comme il était apparu. Elle fixa un instant du regard cette zone déserte et reporta finalement son attention sur le garde royal.

Au fond d'elle, elle savait que ce devait être un échec difficile à avaler pour le fils d'Hadès, et sachant cela elle décida de ne pas l'encombrer de sa compassion. Elle se leva tant bien que mal et lui tendit la main. « Je suis persuadée qu'il essaie de te pousser à bout ... » Elle marqua une pause et l'observa avec une admiration tout à fait sincère, reprenant de son expression un peu enfantine habituelle. « Je n'ai jamais rien vu de tel. Tes capacités sont extraordinaires ... » Pour elle, malgré l'issue du combat, ce à quoi elle avait assisté valait largement le déplacement.

Après avoir regardé sa demeure, au loin, elle laissa échapper un rire claironnant. « Père sera ravi de voir l'état de son château une fois de retour à la maison. » Elle imaginait déjà son grand sourire se changer en un air déconfit lorsqu'il verrait l'état des lieux, partagé entre l'étonnement et l'incompréhension. « Ça ne fera pas de mal de reconstruire cette section, de toute façon. » Mia eut le réflexe de se pencher vers lui afin de s'assurer qu'il allait bien. « Il faut t'emmener soigner ces blessures ... » Elle craignait qu'il fasse de la fièvre et que sa situation empire.

Bien entendu, d'aucune façon elle aurait pu prévoir que la réaction du jeune homme serait aussi brutale. Elle n'eut à peine le temps de réaliser que ses yeux viraient au rouge que déjà il s'était jeté sur elle pour la plaquer contre le sol. Elle n'eut même pas le loisir de crier puisque le son demeurait bloqué contre sa gorge. Il s'appuya contre elle, ne lui laissant aucune chance de s'échapper, et Mia comprit cette obscurité en lui, frappée d'un sentiment de peur qui ne se décrivait pas vraiment.

Il s'empara de ses lèvres et ce baiser n'avait rien d'affectueux ou de délicat. Elle comprit instantanément qu'il s'en prenait à elle par simple commodité. Elle était la victime idéale de sa colère dans les circonstances, mais bien qu'elle comprenne l'ampleur de ses sentiments, bien que toute son âme était enivrée de cette colère, de cette haine, qu'elle percevait nettement cette sauvagerie en lui, elle n'avait pas envie de cautionner son geste.

Pourtant, une part d'elle savait pertinemment qu'elle ne pouvait pas le repousser, l'emporter sur sa ferveur. La jeune femme réagit alors avec sa réserve d'énergie et se contenta de lui transférer sa peur et à la fois cette petite flamme qui naissait en elle, qui dansait en elle, et qui couvrait son visage de larmes qu'elle ne cherchait même pas à dissimuler. Elle était faible, malade et sans doute inintéressante à ses yeux. Pourtant, elle voulait qu'il sache, qu'il perçoive en elle toute l'affection qu'elle avait pour lui.
Elle voulait qu'il sache qu'elle comprenait son geste, mais qu'en même temps il l'avait blessée. Elle saisit cette opportunité pour le repousser, se reculant en rampant presque sur le sol pour finir le dos appuyé contre le muret, l'observant en ayant la poitrine qui se soulevait vivement sous l'étonnement, la fébrilité du moment.

Puis, lentement, elle murmura : « Ne fais pas ça ... »
Ne lui donnes pas une raison de faire naître l'horrible monstre qu'il espère de toi.
Ces mots-là, elle ne parvint pas à les prononcer, effrayée à l'idée qu'il ne s'en prenne à nouveau à elle. Et d'un autre côté, envahie d'un grand chagrin. Elle dissimula son visage derrière un pan de sa robe rapiécée pour essuyer les larmes qui roulaient toujours sur ses joues. Son coeur était pourtant gonflé d'un sentiment qui lui faisait mal. Son premier baiser n'avait rien de particulièrement romantique ou d'agréable. Pourtant, malgré la peine qu'elle ressentait, elle ne pouvait se mentir à elle-même.

Elle éprouvait pour lui un amour qui la gênait, dont elle se serait bien débarrassé à l'instant, histoire de ne pas avoir l'air de cette pauvre catin inutile. Histoire de ne pas paraître si faible devant lui. Pourtant, elle sanglotait. Elle sanglotait et se serrait contre cette robe ridicule parce qu'elle n'avait pas pu restreindre cette faiblesse et qu'elle en avait un peu honte. Elle ne pouvait pas lutter. Elle était bien trop innocente pour cela.

Il daigna à peine lui adresser un regard avant de monter à cheval. Il balança au loin son badge, lui adressa un conseil qui avait un goût amer dans la bouche, et fila loin des murailles sans plus de cérémonie. Mia demeura un long moment assise sur le sol, adossée au muret, les yeux rivés sur cet objet qui étincelait parfois sous la lueur inopinée de l'astre dans le ciel. Puis, avec peine, elle se redressa et récupéra le badge qu'elle serra fortement dans son poing.

Mia ne su pas vraiment comment elle parvint à regagner sa chambre ni combien de temps il fallu pour qu'elle trouve enfin le sommeil, mais même sous ses draps, dans la chaleur de sa chambre, elle repensait encore à ce qu'elle avait vu, ce qu'elle avait ressenti, et une impression intense de mal lui traversait régulièrement tout le corps.

Aujourd'hui, elle avait perçu le meilleur et le pire d'un homme, et à travers ce combat, à travers ces petits contacts avec un être vivant qui n'était ni son frère, ni son père, ni ses domestiques, Mia réalisa qu'elle n'avait encore aucune connaissance de ce que ce monde avait à lui offrir. Tôt ou tard, elle paierait cher cette ignorance, elle le savait. Ses rêves furent peuplés à la fois de monstres et d'une chaleur hâlé qui l'avait réconfortée.